Jura Pastoral

La conversion écologique, par les yeux, le cœur et les pieds

La contemplation du grand «livre ouvert» de la création est au centre de la démarche | © P. Dorsaz La contemplation du grand «livre ouvert» de la création est au centre de la démarche | © P. Dorsaz

Julien Lambert pour la revue choisir *  

Comment les petits pas d’un groupe de randonneurs et de randonneuses peuvent-ils représenter un grand pas dans la marche de l’humanité vers des sociétés durables? Trois éditions d’une retraite spirituelle écologique m’ont permis de croire en cette improbable équation.

C’est bien une retraite ignacienne, avec temps de prière individuelle et collecte des «perles» recueillies par chacun·e, que Christophe Albrecht sj et moi-même avons proposée ces trois derniers étés à un groupe de vingt personnes dans les Alpes suisses. Mais loin des centres spirituels et de leur calme feutré, nous avons prié en pleine nature, en marchant et les yeux ouverts, piqués chaque soir dans nos zones de confort par la paille des étables.

Le cheminement intérieur propre à chacun·e voulait contribuer à la nécessaire transformation de nos modes de vie à l’heure de la crise écologique. Une transition globale que l’encyclique Laudato si’ voit partir, impérativement, de ce cœur humain «blessé par le péché» (LS 1), avant de questionner les formes de consommation ou de production. Car méditer ce texte et d’autres permet certes de réactiver la conscience de notre responsabilité collective devant un si grave enjeu pour la survie de tant d’espèces, dont la nôtre; mais à quoi sert la compréhension si le cœur profond n’est pas touché?

Il faut retrouver sa capacité d’émerveillement | © Maurice Page Il faut retrouver sa capacité d’émerveillement | © Maurice Page

Compassion et émerveillement

La contemplation du grand «livre ouvert» de la création, bien au-delà des concepts, réactive notre sensibilité pour le pullulement de la vie devant lequel nous passons souvent avec indifférence dans nos quotidiens pressés. La densité du silence démultiplie les facultés de perception des marcheurs, autant que leur réceptivité émotionnelle.

Après un ou deux jours, beaucoup sont ébranlés par une compassion nouvelle pour la nature blessée par le dérèglement de nos sociétés industrielles. «Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que (…) nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation» (LS 91).
 

Il ne faut pas chercher les victimes à l’autre bout du monde

Pas besoin de se déplacer beaucoup: les cochons entassés entendus au passage d’une ferme, les vaches-usines gonflées de lait et la queue suspendue à une corde nous percutent au-dehors… comme au dedans le souvenir des océans et des terres devenus un «immense dépotoir» (LS 21). La paysanne qui nous accueille les larmes aux yeux, désarçonnée par la pénurie d’eau, et nos corps transpirants ainsi privés de douche nous font sentir, jusque dans nos chairs, qu’il ne faut pas chercher à l’autre bout du monde les victimes du drame.

La mauvaise conscience cependant nous abat parfois plus qu’elle ne nous met en marche. La contemplation des montagnes grandioses, aussi bien que celle des bestioles dérisoires, qui toutes comptent aux yeux de Dieu, ont d’abord le mérite de provoquer un émerveillement renouvelé. Les mêmes participants qui disaient sécher sur la méditation silencieuse se surprennent soudain à verser des pleurs de reconnaissance pour tant de beauté insondable.

Plutôt que de s’infliger l’angoisse de devoir être des « sauveurs » de la nature, les voilà qui constatent que celle-ci les précède, les porte, les nourrit .. et que l’insecte pas plus que les fleurs sauvages ne se soucient de leur existence… «Où étais-tu lorsque je fondai la terre», lance Dieu à Job plein de remontrances. La Genèse se laisse retraduire: loin d’avoir à «dominer» (Gn 1,28) les autres créatures, l’humain se voit confier d’en être le gardien, la conscience vivante de leur nécessaire harmonie.

Parfois, le temps est à l’image de nos sentiments | © Maurice Page Parfois, le temps est à l’image de nos sentiments | © Maurice Page

L’intensité du peu

C’est ainsi que la perspective d’un effort de conversion global s’avère, contre toute attente, passer d’abord par le cadeau d’une guérison personnelle. L’impuissance, l’horreur ressentie face à des dangers proprement irreprésentables, nous les refoulons souvent, creusant ce que les psychologues appellent aujourd’hui la dépression écologique. Reconnaître et nommer nos émotions négatives permet d’élargir le regard, d’acquérir une confiance et un désir de vivre renouvelés.

Les «mots d’amour» dont la nature est pleine répondent alors aux crises personnelles, aux situations familiales compliquées, indépendamment des préoccupations environnementales. Si la méditation des évangiles permet aux retraitants de s’identifier avec celles et ceux que Jésus relève, la prière par les pieds et les yeux leur fait revisiter ces mêmes fragilités au détour d’une souche morte ou recevoir une éclaircie du ciel comme un signe consolateur.
 

La sobriété heureuse

Les mots de Laudato si’ sur la «sobriété heureuse» prennent chair. Un repas frugal, au milieu d’une forêt et d’une randonnée éprouvante, nous fait retrouver la saveur crue d’un légume; un sommeil profond dans le froid d’une étable nous rappelle que le confort de nos appartements nous fait perdre la sensation de l’essentiel. Le trop de nos vies ne concerne plus seulement notre addiction à la consommation; nos emplois du temps surchargés apparaissent comme des sources de dispersion épuisantes. «Ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose (…). Ils ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et sont moins fatigués et moins tourmentés. On peut vivre intensément avec peu» (LS 223).

Agenda et messes

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