Malgré les processions. Dieu n'a jamais en1pêché la grêle sur les vignes et sur les champs de blé. Malgré les kilos de cierges consumés, il n'arrête pas la leucémie dans les veines de
l'enfant ni la vague meurtrière sur les plages paradisiaques. Malgré l'écoeurante fumée qui montait jusqu'à lui, il n'a rien pu faire contre les chaudières maléfiques de la Solution finale.
Oui. Dieu n'est pas ce Père tout-puissant, sommé de protéger ses fils et ses filles en tous lieux et en toutes circonstances.

Cette prétendue superpuissance divine n'existe pas, n'a jamais existé ailleurs que dans l'imagination d'hommes et de femmes pressés de trouver un rayon de lumière clans le creuset de leurs existences bouleversées. Il faut en pourchasser l'idée frelatée jusque dans les recoins les plus obscurs de notre conscience. Se désencombrer l'âme de toutes ces fausses images si peu divines et tellement humaines, dénuder Dieu de tous ses déguisements, briser, encore et encore, les idoles d'argile. Dieu, s'il existe autrement que dans l'image que les hommes se forgent de lui depuis la nuit des temps. n'est qu'un Dieu désarmé, nu, fragile, éploré, incapable de sauver de la potence son propre fils agonisant sous les coups et les clous.

Mais si ce père-là ne pouvait pas empêcher l'ultime hurlement de Jésus, s'il ne peut éteindre l'incendie dévorant de la maladie, peut-être peut-il, secrètement embusqué sous la peau des fragilités humaines, s'approcher des draps trempés de sueur du malade essoufflé, éponger un front brûlant et ruisselant de fièvre, caresser doucement une main crispée par la peur de l'agonie, prendre tendrement par l'épaule un couple dévoré d'inquiétude pendant l'interminable opération d'un fils renversé par un chauffard. Quand quelqu'un pleure, c'est toujours Dieu qui souffre. Oui, peut-être Dieu a-t-il sa manière à lui d'être Dieu, de faire son métier de Dieu, loin, très loin, des démonstrations de puissance et des fausses représentations tonitruantes dont l'homme l'affuble depuis des siècles et des siècles. Amen.

Assurément. le ciel est vide, car il y a belle lurette que Dieu l'a déserté pour venir habiter à toutes les adresses où il se sens vraiment chez lui: dans la salle d'attente du service de chimio, au bras de la veuve éplorée; dans l 'appartement de la personne handicapée, à côté de l'enfant battu. Il donne du sens à l'engagement de celui qui aide ses semblables, accompagne les familles en crise et est présent dans le Pain et le Vin de l'eucharistie.

Philippe Charmillot, Pastorale des Familles pour Bienne et le Jura bernois